L’article L’exote, l’oviri, l’exilé : les singulières identités géographiques de Paul Gauguin a été rédigé par Jean François Staszak, à l’époque professeur de géographie à l’université Paris 1 et actuellement directeur du département Géographie à l’université de Genève. L’article est publié dans les Annales de géographie (2004, Volume 113 Numéros 638-639, Accès aux pages 363-384.). L’auteur a déjà rédigé Géographie de Paul Gauguin en 2003 ainsi que Gauguin voyageur. Du Pérou aux îles Marquises en 2006, deux ans après l’article que nous présentons.
Cet article est d’autant plus intéressant car nous avons la vision d’un géographe et non pas d’un historien de l’art, ce qui nous offre un nouvel angle de vue sur le travail de l’artiste et sur la notion de primitivisme. Le résumé à la première page explique comment il va analyser son objet d’étude : les identités géographiques de Paul Gauguin.
Dans l’introduction (pages 364 à 366), il s’éloigne des considérations de ses confrères géographes et décide d’étudier les représentations et choix géographiques de Gauguin. Il développe trois points qui éclairent sa démarche :
– L’identité doit être perçue comme une représentation de soi-même
– Il faut prendre en considération les représentations sociales des individus
– Le questionnement sur le rôle identitaire du territoire est une question à soulever
Il choisit d’étudier Gauguin, car son œuvre est l’expression de ses mondes spontanés et ses voyages lui permettent de composer son œuvre.
Jean François Staszak développe cinq chapitres :
– L’aspiration de Gauguin à l’autre et à l’ailleurs (pages 366 à 370) : il explique ici que l’identité géographique du peintre à travers ses voyages en Bretagne, Martinique, à Tahiti ou encore aux Marquises ne prend pas la forme d’un enracinement mais d’une quête d’un ailleurs toujours inachevée. Il va étudier la quête de Gauguin grâce aux correspondances qu’il a tenu, à ses écrits, à son œuvre plastique et à ses voyages bien sûr. Le primitivisme de Gauguin se constitue aussi car il sait que le marché de l’art a besoin de nouveaux motifs et en faisant quelque chose de nouveau, il vendrait davantage. Il se sert alors des « ressources pittoresques de l’exotisme ». De plus, les arts « primitifs » ont selon lui beaucoup à apporter à son œuvre. Pour cela il doit se tenir éloigné de la civilisation et partir dans les terres qu’ils considèrent comme sauvages. Staszak en conclut que l’exotisme, le primitivisme et la quête intérieure de l’artiste sont liées.
– Une invitation au voyage dans l’air du temps (pages 370 à 373) : l’auteur explique que le projet du peintre s’inscrit dans l’antimodernisme fin de siècle et dans l’insatisfaction assez commune à l’époque vis-à-vis de la société capitaliste. Tous les regards en 1880 sont tournés vers l’ailleurs. Gauguin est nourri par la culture de l’époque, la « manie de l’exotisme » en lien avec l’entreprise de colonisation et la découverte des peuples dits « sauvages » ou « non civilisés ». Sa quête d’un ailleurs lui vient de ses lectures, notamment Loti, le journal des voyageurs ainsi que les publications du Ministère des colonies. Il visite à plusieurs reprises la section coloniale de l’exposition universelle de 1889. On voit bien que la recherche de primitivisme de notre peintre se développe dans une période où l’exotisme colonial est une obsession pour nombre de gens. Gauguin ne peut voyager dans le temps mais chez ses peuples, il retrouve l’exotisme antérieur, l’aube de l’humanité. Tahiti est le paradis perdu qu’il recherche. Finalement, la recherche identitaire de Gauguin et par extension son primitivisme tient plus au temps qu’au lieu.
– Tahiti : l’exotique et l’exil (pages 373 à 375) : le peintre va plus loin que les peintres orientalistes car son but est de découvrir par ses voyages une part de lui-même que l’Occident lui dissimule. Cependant l’auteur fait ressortir le fait qu’il se comporte comme un colon. En effet, il s’inspire des mythes et motifs polynésiens mais ne condamne pas l’entreprise coloniale. A Tahiti, il veut faire croire au continent, son identité maorie, qui en réalité n’existe pas vraiment. Il reste un européen mais grâce à la confrontation à l’autre, il compte devenir davantage lui-même. Il se frotte à un ailleurs et puise dans les ressources exotiques afin de renouveler sn œuvre.Il rentre dans le champ de l’histoire de l’art, moins par les ressources primitivistes qu’il va chercher mais davantage par son exil paraissant de l’extérieur pittoresque et prestigieuse.
– Gauguin oviri ou exote ? (pages 375 à 377) : Ici Jean François Staszak explique la notion de « sauvage » chez Gauguin, le dernier paragraphe de la page 377 est particulièrement éclairant. Il est intéressant de voir que dans son œuvre Oviri, selon l’auteur, la prétention de Gauguin à se considérer comme un sauvage et les différentes facettes de son primitivisme peuvent se contredire. Il cherche à nous montrer le caractère occidental du primitivisme de Gauguin, je cite : « Le primitiviste n’est pas un peintre primitif, mais bien un artiste occidental ».
– Les Marquises (pages 378 à 380) : Le portrait qu’on a dépeint de lui jusqu’ici change beaucoup. Aux Marquises, l’artiste s’investit pleinement contre le pouvoir colonial avec les Marquisiens, qui sont ici ses amis. Dans cette dernière phase de sa vie, il va peut utiliser les ressources « primitives ou sauvages » qu’il avait beaucoup exploité à Tahiti, l’auteur se demande si ce n’est pas car il a finalement fini par y trouver dans le peuple, son alter ego ? Il nous invite pour le constater à regarder ses autoportraits datant de 1896 ou 2003.
Pour la conclusion de l’ensemble de l’article, je vous conseille de consulter la page 381, car celle-ci est claire et concise. Pour ce qui est de la notion de « primitivisme » de Gauguin, celle-ci est vu sous un angle, qui nous semble plus atypique et c’est pour cela nous vous conseillons chaudement cet article.
NB : Le seul point négatif est que l’auteur écrit Baudelaire « Beaudelaire »…